WEBVTT 0 00:00:09.650 --> 00:00:14.210 - Merci Alexandre Seurat. Donc notre troisième intervenante est psychiatre 1 00:00:14.410 --> 00:00:15.480 aussi : Natalie Giloux. 2 00:00:16.030 --> 00:00:19.550 Elle est praticien hospitalier, au centre hospitalier le Vinatier, 3 00:00:19.750 --> 00:00:23.940 à Bron, à côté de Lyon, et elle co-dirige avec la magistrate Marion Primevert 4 00:00:24.140 --> 00:00:27.860 une formation à l'Ecole nationale de la magistrature à Paris qui s'appelle : 5 00:00:28.060 --> 00:00:31.310 "les soins psychiatriques sans consentement" ce qui peut expliquer 6 00:00:31.510 --> 00:00:33.830 l'intervention de ce soir et toutes les deux, elles sont à l'origine 7 00:00:34.030 --> 00:00:34.790 du documentaire, 8 00:00:35.080 --> 00:00:37.640 peut-être que vous en parlerez Natalie, de Raymond Depardon : "Douze 9 00:00:37.840 --> 00:00:40.340 jours" que je vous invite à voir. Donc voilà Natalie Giloux. 10 00:00:40.540 --> 00:00:42.610 Maintenant sur les soins sans consentement. 11 00:00:53.980 --> 00:00:58.580 - Alors, le principe des soins, dans les hôpitaux psychiatriques, est un principe de 12 00:00:58.780 --> 00:01:00.650 soins librement consentis. 13 00:01:01.120 --> 00:01:04.430 Et en France, on estime qu'il y a environ 420.000 personnes 14 00:01:04.630 --> 00:01:07.100 qui sont hospitalisées en psychiatrie. 15 00:01:07.670 --> 00:01:14.300 Parmi elles, 90.000 par an, le sont sous contrainte, c'est-à-dire : sans 16 00:01:14.500 --> 00:01:15.320 leur consentement. 17 00:01:16.400 --> 00:01:17.810 Qui sont ces personnes ? 18 00:01:18.350 --> 00:01:27.260 Ce sont, dans 60% des cas, des hommes, jeunes, dont la moyenne 19 00:01:27.460 --> 00:01:29.430 d'âge est inférieure à 40 ans. 20 00:01:29.630 --> 00:01:31.910 Elle se situe environ autour de 39 ans. 21 00:01:33.020 --> 00:01:34.280 De quoi souffrent-ils ? 22 00:01:34.480 --> 00:01:38.420 Dans la majorité des cas, ce sont des personnes qui souffrent 23 00:01:38.620 --> 00:01:42.920 de troubles psychiques graves, en particulier, de ce qu'on appelle 24 00:01:43.120 --> 00:01:46.450 les troubles psychotiques, c'est-à-dire, je vous le dis synthétiquement, 25 00:01:46.650 --> 00:01:51.110 c'est-à-dire : de perte de contacts avec la réalité, et de personnes qui 26 00:01:51.310 --> 00:01:56.300 perdent la raison, au point de ne pas se voir malades et de ne pas 27 00:01:56.500 --> 00:02:01.580 être sensibles à la nécessité de se soigner et de prendre soin d'eux. 28 00:02:02.570 --> 00:02:08.840 Dans ces contextes, ce sont les médecins, alors au départ, tout médecin, pas 29 00:02:09.040 --> 00:02:14.810 forcément des psychiatres, qui certifient la nécessité de se prendre en charge 30 00:02:15.010 --> 00:02:20.330 c'est-à-dire qui certifient que la protection de la santé, va au-delà 31 00:02:20.530 --> 00:02:24.790 du respect de la liberté d'aller et venir et du libre consentement. 32 00:02:25.870 --> 00:02:30.950 Alors, c'est une position d'autorité du médecin. 33 00:02:31.160 --> 00:02:36.530 C'est une position de pouvoir qui doit donc accepter un contre-pouvoir. 34 00:02:37.130 --> 00:02:42.660 Le médecin a la prétention de savoir, après avoir examiné son patient 35 00:02:42.860 --> 00:02:45.560 bien entendu, ce qui est bon pour lui. 36 00:02:45.770 --> 00:02:50.630 Il a la prétention de savoir où sont les intérêts de ce patient 37 00:02:51.080 --> 00:02:52.010 mieux que lui. 38 00:02:52.910 --> 00:02:58.640 Alors bien sûr, cette position de prétention doit être habitée par le doute. 39 00:02:58.880 --> 00:03:04.280 Il doit s'interroger lui-même avec son équipe, il doit savoir aussi 40 00:03:04.700 --> 00:03:09.990 que son observation peut être infiltrée de positions morales. 41 00:03:11.480 --> 00:03:16.070 Il va certifier, dans un premier certificat et tout au long de 42 00:03:16.270 --> 00:03:21.710 l'hospitalisation. Des collègues psychiatres vont valider ou invalider 43 00:03:21.910 --> 00:03:22.670 cette mesure. 44 00:03:23.810 --> 00:03:27.050 L'hospitalisation, les soins sous contrainte peuvent être tout à fait 45 00:03:27.250 --> 00:03:28.180 contre-productifs. 46 00:03:28.520 --> 00:03:33.230 Bien entendu, il est bien plus simple de soigner des personnes qui sont 47 00:03:33.430 --> 00:03:38.900 d'accord pour se soigner, que des personnes qui s'opposent aux soins 48 00:03:39.230 --> 00:03:40.460 qui leur sont proposés. 49 00:03:42.320 --> 00:03:47.300 Les médecins sont soumis également à des contrôles d'organismes extérieurs. 50 00:03:47.500 --> 00:03:51.590 Et parmi eux, il y a la commission des hospitalisations en psychiatrie 51 00:03:52.010 --> 00:03:56.690 le contrôleur général des lieux de privation et de liberté, de liberté 52 00:03:57.650 --> 00:04:04.490 des commissions européennes et puis depuis 2011 et révisée en 2013, une 53 00:04:04.690 --> 00:04:09.560 audience publique se tient dans les hôpitaux psychiatriques. 54 00:04:09.890 --> 00:04:14.240 Une audience qui est dirigée par un juge des libertés et de la détention. 55 00:04:15.260 --> 00:04:19.760 C'est ce qu'a montré Raymond Depardon dans son documentaire : "Douze jours". 56 00:04:20.060 --> 00:04:27.320 Ce magistrat va vérifier la validité des procédures de soins sans 57 00:04:27.520 --> 00:04:28.280 consentement et 58 00:04:28.520 --> 00:04:33.110 va aussi entendre les patients qui bénéficient de cette mesure 59 00:04:33.530 --> 00:04:38.840 et il les entend au titre de citoyen. C'est-à-dire que même si les personnes 60 00:04:39.040 --> 00:04:43.520 sont troublées, elles ont quelque chose à dire sur leurs 61 00:04:43.720 --> 00:04:46.880 conditions d'hospitalisation et leur prise en charge. 62 00:04:47.250 --> 00:04:48.770 Et le magistrat les entend. 63 00:04:49.550 --> 00:04:52.670 Il y a plusieurs formes d'hospitalisation sous contrainte. 64 00:04:53.350 --> 00:04:56.420 Dans ce pays, il y a des hospitalisations les plus fréquentes qui sont les 65 00:04:56.620 --> 00:04:59.510 hospitalisations à la demande d'un tiers, c'est-à-dire d'un proche, d'un 66 00:04:59.710 --> 00:05:04.370 ami de la famille, et l'hospitalisation peut être aussi sollicitée par le 67 00:05:04.570 --> 00:05:08.720 préfet de police, dans le cadre d'une dangerosité de nature pathologique. 68 00:05:09.530 --> 00:05:14.810 Elle peut être également sollicitée par un médecin extérieur à 69 00:05:15.010 --> 00:05:18.270 l'établissement, dans le cadre d'une procédure d'urgence 70 00:05:18.680 --> 00:05:22.670 quand on n'a pas trouvé deux tiers qui peuvent soutenir ou donner leur 71 00:05:22.870 --> 00:05:28.310 position, face à la personne qui souffre de troubles psychiques. Alors 72 00:05:28.510 --> 00:05:33.500 ces dernières années, nous avons été alertés par l'augmentation 73 00:05:33.700 --> 00:05:35.420 préoccupante de ces mesures. 74 00:05:36.450 --> 00:05:40.250 Alors qu'est-ce qui se passe ? Est-ce que ce sont les médecins qui 75 00:05:40.450 --> 00:05:44.510 ont peur de prendre des risques ? Des risques de la liberté. 76 00:05:44.710 --> 00:05:47.960 Est-ce qu'il y a trop de rechutes parce que les personnes ne sont 77 00:05:48.160 --> 00:05:52.240 pas suffisamment suivies ? Est-ce qu'il n'y a pas suffisamment d'échanges 78 00:05:52.440 --> 00:05:57.250 avec les patients pour promouvoir l'alliance thérapeutique et promouvoir 79 00:05:57.450 --> 00:06:02.700 un soin librement consenti ? Dans les hôpitaux psychiatriques 80 00:06:02.900 --> 00:06:09.070 il y a nécessité dans les équipes d'observer la forme que prend 81 00:06:09.270 --> 00:06:15.640 les soins, d'évaluer les soins sous contrainte et de promouvoir 82 00:06:15.840 --> 00:06:20.020 des stratégies d'alliances thérapeutiques et en particulier, il y a beaucoup 83 00:06:20.220 --> 00:06:26.620 d'efforts actuellement, sur la prévention et la prise en charge des personnes 84 00:06:26.820 --> 00:06:33.460 plus jeunes dont il faut s'occuper de façon extrêmement attentive et 85 00:06:33.660 --> 00:06:39.370 pour lesquelles, il faut promouvoir une observance du traitement importante 86 00:06:39.570 --> 00:06:43.300 pour éviter les rechutes et la désinscription dans la vie sociale 87 00:06:43.500 --> 00:06:45.880 dans la vie scolaire ou dans la vie professionnelle. 88 00:06:46.720 --> 00:06:51.040 Il y a aussi beaucoup d'efforts qui sont mis sur la prévention des 89 00:06:51.240 --> 00:06:54.550 rechutes, sur la prise en charge des comorbidités toxiques qui 90 00:06:54.750 --> 00:06:59.500 sont très importantes chez les personnes qui souffrent de troubles psychiques 91 00:07:00.040 --> 00:07:04.900 et aussi, des programmes, ce qu'on appelle : les plans anticipés de crise 92 00:07:05.100 --> 00:07:09.910 où les personnes, qui ont déjà rechuté, organisent elles-mêmes la façon 93 00:07:10.110 --> 00:07:15.700 dont elles souhaiteraient être prise en charge, si elles rechutaient. 94 00:07:15.900 --> 00:07:16.660 De façon synthétique 95 00:07:16.860 --> 00:07:21.670 il existe maintenant une médecine plus collaborative avec les patients. 96 00:07:22.060 --> 00:07:25.570 Même pour ceux qui ont de gros troubles psychotiques. 97 00:07:25.770 --> 00:07:31.390 Ils sont sans doute mieux accompagnés. Beaucoup plus mobilisés à s'emparer 98 00:07:31.590 --> 00:07:36.790 eux-mêmes de la maladie et ils sont engagés dans des programmes d'éducation 99 00:07:36.990 --> 00:07:43.270 thérapeutique, pour mieux connaître leur affection et savoir mieux la 100 00:07:43.470 --> 00:07:47.380 traiter, mieux la dominer, de façon la plus autonome possible. 101 00:07:50.930 --> 00:07:52.430 Alors, pourquoi ? 102 00:07:52.630 --> 00:07:59.000 Pourquoi, à notre sens aussi, cette augmentation ? 103 00:07:59.360 --> 00:08:03.470 Et qu'est-ce qui se passe dans nos hôpitaux, où vous entendez régulièrement 104 00:08:03.670 --> 00:08:05.500 parler de la situation critique ? 105 00:08:06.260 --> 00:08:11.060 Je pense qu'il y a trois points à soulever : le premier, c'est qu'il 106 00:08:11.260 --> 00:08:16.100 y a un climat dans notre société très sécuritaire et qui, probablement, 107 00:08:17.240 --> 00:08:23.810 s'insinue, insidieusement, sur les pratiques des soignants, où l'on prend 108 00:08:24.010 --> 00:08:27.650 peu de risques ou peu de risques de la liberté. 109 00:08:29.750 --> 00:08:33.620 Il y a eu une politique de fermeture des lits, en psychiatrie, qui a été 110 00:08:33.820 --> 00:08:36.710 très importante. Il y a la moitié des lits en psychiatrie qui ont 111 00:08:36.910 --> 00:08:41.930 fermé, sur une quinzaine d'années, et le dispositif de psychiatrie 112 00:08:42.130 --> 00:08:42.890 est saturé. 113 00:08:43.200 --> 00:08:49.490 Alors ces fermetures de lits ont été sous tendues par la volonté 114 00:08:49.690 --> 00:08:54.020 de promouvoir les soins ambulatoires ce qui est une bonne chose mais 115 00:08:54.220 --> 00:08:59.330 aussi, ont eu des raisons économiques parce que l'hospitalisation coûte 116 00:08:59.530 --> 00:09:06.920 cher. Et le dispositif saturé compromet la qualité de l'accueil des soins 117 00:09:07.520 --> 00:09:11.990 et donc la promotion des alliances thérapeutiques et de la prévention 118 00:09:12.190 --> 00:09:12.950 des soins. 119 00:09:14.690 --> 00:09:20.600 L'autre aspect, c'est que l'hôpital c'est l'hôpital en général mais 120 00:09:20.800 --> 00:09:25.070 aussi l'hôpital psychiatrique qui s'est organisé beaucoup sur le mode de 121 00:09:25.270 --> 00:09:31.280 l'entreprise, avec une volonté d'avoir plus d'efficience, plus de performances, 122 00:09:31.480 --> 00:09:36.770 plus de rentabilité, avec des modèles plus économiques. 123 00:09:37.710 --> 00:09:44.210 Et ces aspects là, ont eu un impact très délétère, je pense, sur la qualité 124 00:09:44.410 --> 00:09:49.930 des soins ; car un des aspects du 125 00:09:50.130 --> 00:09:54.580 soin psychique, c'est qu'il est aussi un soin relationnel. Et le soin 126 00:09:54.780 --> 00:10:02.470 relationnel, est l'écoute en temps. Et s'épargner le temps, c'est aussi 127 00:10:02.860 --> 00:10:12.280 risquer de déraper dans une modalité plus économique, plus coercitive 128 00:10:13.630 --> 00:10:15.370 et donc, plus inhumaine. 129 00:10:15.940 --> 00:10:17.320 Voilà. Je vous remercie de votre attention.